Dans une décision du 21 juin 2022[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence selon laquelle il est nécessaire, afin d’engager la responsabilité de la personne morale, d’identifier explicitement l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale.
Un salarié d’une entreprise spécialisée dans la production de ouate a subi un accident du travail sur une machine « ouvreuse-broyeuse ».
Ladite société spécialisée dans la production de ouate que nous appellerons la société A est détenue par une holding.
La société A, la holding et le directeur du site de la société A ont été poursuivis des chefs de blessures involontaires suivies d’une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois et de non-respect des mesures relatives à l’hygiène, la sécurité ou les conditions de travail.
Condamnés en 1ère instance, la société A, la holding et le Directeur du site de la société A ont interjeté appel de la décision.
Dans un arrêt du 24 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a condamné la société A à 20.000 euros d’amende, la holding à 40.000 euros d’amende pour blessures involontaires et la société A à deux amendes de 5.000 euros pour infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs.
La société A et la holding ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 24 novembre 2020.
Dès lors deux questions se posent : une personne morale peut-elle être considérée comme un organe ou représentation d’une autre personne morale et ainsi permettre la condamnation de cette dernière ? Aussi la holding pour laquelle les juges n’ont identifié aucun organe ou représentant peut-elle voir sa responsabilité pénale engagée ?
Dans son arrêt du 21 juin 2022, la Cour de Cassation estime qu’une holding de la société poursuivie peut être considérée comme un organe de la société poursuivie et que ne méconnait pas les exigences de l’article 121-1 du Code pénal la cour d’appel qui condamne la société poursuivie pour les manquements de son organe ou représentant. Cependant la Cour de cassation casse l’arrêt s’agissant de la responsabilité de la holding du fait d’une absence d’identification de l’organe ou du représentant de ladite société.
Afin d’appréhender le raisonnement de la Cour de cassation, il s’avère nécessaire de s’atteler à définir les éléments permettant d’engager la responsabilité d’une personne morale (I) ce qui nous permettra de constater que les juges du quai de l’Horloge ont, dans cet arrêt, effectué une application stricte des dispositions de l’article 121-2 du Code pénal (II).
I. L’engagement de la responsabilité d’une personne morale
A titre liminaire, il semble important de préciser que toutes les personnes morales peuvent voir engager leur responsabilité pénale à l’exception de l’Etat comme le précise l’article 121-2 du Code pénal[2].
Dès lors il est parfaitement possible d’engager la responsabilité d’une personne morale de droit privé telle qu’une entreprise.
Pour cela, il est nécessaire de respecter deux conditions :
- L’infraction doit avoir été commise par un organe ou un représentant ;
- L’infraction doit avoir été commise « pour le compte de la personne morale ».
Concernant la première condition, nous soulignerons que l’organe ou le représentant peut être un dirigeant de droit comme le directeur général[3], mais aussi un dirigeant de fait [4] ou encore un représentant judiciaire (comme par exemple un administrateur judiciaire) ou conventionnel (comme par exemple le titulaire d’une délégation de pouvoir [5]).
Concernant la seconde condition, nous noterons que si l’infraction a été commise pour le compte exclusif de l’organe ou du représentant alors seule sa responsabilité sera retenue. A l’inverse, si l’infraction a été commise au profit de la personne morale alors la personne morale est responsable pour toutes les fois où la personne physique a agi dans l’exercice de ses activités ayant pour but d’organiser le fonctionnement ou les objectifs de la personne morale.
Si la personne morale voit sa responsabilité engagée alors l’infraction sera réprimée selon les modalités des articles 131-38 et 131-39 du Code pénal [6].
II. Une application stricte de l’article 121-2 du Code pénal
Au-delà des conditions évoquées précédemment, la jurisprudence estime qu’il est nécessaire d’identifier de manière explicite l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale.
Mais la jurisprudence n’a pas toujours été aussi affirmative sur ce sujet.
En effet, après avoir adopté une position extrêmement rigoureuse selon laquelle que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s’il est établi qu’une infraction a été commise pour leur compte par leurs organes ou représentants [7], la Cour de cassation a, dans un second temps, estimé que la présomption de l’implication de l’organe était suffisante.
Elle jugeait alors qu’il ne saurait être reproché à une cour d’appel de déclarer une société pénalement responsable sans préciser l’identité de l’auteur des manquements à l’origine du délit dès lors que l’infraction n’a pu être commise pour le compte de la société que par ses organes ou représentants[8].
Depuis, la Cour de cassation semble être revenue à sa conception première, à savoir que pour engager la responsabilité d’une personne morale, il est nécessaire d’identifier de manière précise l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale [9].
Dans cet arrêt la Cour de Cassation réaffirme cette position stricte et confirme la nécessité d’identification précise de l’organe ou du représentant.
Elle affirme donc qu’il est parfaitement possible pour une personne morale d’être l’organe ou la représentante d’une autre personne morale, ce qui permet en l’espèce d’engager la responsabilité de la société A.
Mais surtout, elle rappelle sa jurisprudence devenue constante, et juge que la responsabilité pénale de la holding ne peut être engagée car la Cour d’appel n’a pas explicitement identifié son organe ou son représentant.
En adoptant cette position, la Cour de Cassation affiche une position paraissant cohérente vis-à-vis de l’article 121-2 du Code pénal et colle au principe de légalité criminelle et son adage Nullum Crimen, nulla poena sine lege [10].
[1] Crim 21 juin 2022, n°20-86.857
[2] Article 121-2 du Code pénal : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.
La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3. »
[3] T. Corr. Versailles, 18 dec. 1995
[4] Crim 15 juin 2016, n°14-87.715
[5] Crim 14 dec.1999
[6] Article 131-38 du Code pénal : « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction.
Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros. »
[7] Crim 2 dec. 1997, n°96-85.484
[8] Crim 20 juin 2006, n° 05-85.255
[9] Voir pour exemple Crim 11 avril 2012, n° 10-86.974
[10] « Point de crime, point de peine sans loi »